vendredi 2 septembre 2011

Enfants janissaires en France

Les enfants de Boris ont oublié le bulgare
La France les a transformés en janissaires*, déclare le père

29/08/2011

" Il y a de cela trois ans, nous étions une famille normale essayant de donner le meilleur de nous-mêmes pour élever nos enfants. Jusqu’à ce que l’on soit devenu une famille malheureuse de sorte que nous sommes dignes d’un roman de Tolstoï. ".

Ce sont les paroles du Bulgare Boris Tanusheff. Son nom a fait sensation il y a un certain temps quand il a fait tout de son possible pour donner voix à sa tragédie personnelle. Désespérément il comptait sur la réaction du public et sur la sympathie des gens et si possible – sur une action des autorités bulgares.

Ca fait quatre ans déjà que Boris essaie de récupérer ses 4 enfants qui, en France, leur ont été enlevés à sa femme, Daniela, et à lui-même. Une telle sanction fait suite à la dénonciation d’une citoyenne "vigilante" française. Les enfants sont séparés de leurs parents non parce que Boris boit ou bat sa femme ou encore maltraite sa progéniture, mais parce qu’être un Bulgare à l’Ouest signifie que l’on est déjà suspect.
 
Ces jours-ci, Boris est à nouveau venu nous demander de l’aide. Il s’est avéré que chez lui les choses n’ont pas beaucoup changé. Mais le temps passe. Et avec chaque jour qui s’écoule ses enfants s’éloignent d’avantage de l’idée qu’ils ont de leurs maman et papa bulgares.

Boris Tanusheff est philosophe diplômé de l’Université de Sofia et de la Sorbonne. Il est l’un de ces Bulgares qui n’ont pas la vulgarité caractéristique des Balkans. Boris est réservé, poli, mesuré dans ses propos. Un véritable pupille français. Mais quand nous avons rencontré Boris, il était, avant toute autre chose – malheureux.

Boris a rencontré la future mère de ses enfants, Daniela, dans les années 90. Tous les deux sont instruits, intelligents, végétariens, non-fumeurs. Elle a déjà un enfant de son premier mariage. Au cours des dix années qui suivent, ils donnent naissance à trois autres enfants. Ils sont si honnêtes ces gens-là, qu’en dépit de leur situation financière peu enviable, il n’est pas question d’envisager un avortement. Tels que conçus, les enfants naîtront et grandiront. La famille Tanusheff louait un petit appartement privé à Strasbourg. Les parents se débrouillaient assez bien, leurs enfants ne sont privés de rien, ne sont pas isolés : ils vont à l’école, au centre de loisir payé par les parents, participent à toutes les activités scolaires. Boris est occupé toute la journée dans son travail en dehors de Strasbourg et la garderie des enfants pendant ce temps-là incombe entièrement à son épouse.

Daniela est occupée à prendre soin de ses bientôt quatre enfants, car elle est enceinte et doit accoucher. Suite à la naissance, elle ressent une certaine déprime, d’autant qu’en France elle n’a pas beaucoup d’amis. Elle choisie alors de partager son mal-être avec sa professeure de français.

Ainsi se déclenche la tragédie de la famille Tanusheff. Nos cerveaux bulgares ont des difficultés à comprendre comment, alors qu’une femme est tombée dans une dépression postnatale et que son mari travaille beaucoup, les autorités peuvent se donner le droit de leur prendre leurs enfants. Pas un, pas deux, mais tous les quatre !!!

Dans notre pays ceci est inconcevable. En fin de compte, tout cela est arrivé à cause d’une professeure de français, d’un psychologue et de travailleurs sociaux "zélés". Ceux-ci ont déclenché le retrait temporaire des enfants bulgares de leurs parents biologiques. Selon Boris : " C’est toute une industrie en France – elle emploie des centaines de milliers de personnes. Les travailleurs sociaux, les familles d’accueil – c’est un système, mais autant que je sache, on ne les voit pas dans les banlieues. Ils préfèrent s’occuper des gens comme nous – plus normaux, plus éduqués, qui ne créeront pas des problèmes. Ils prennent des enfants sur une base régulière ! Autrefois c’était la politique officielle de saisir les enfants d’immigrants, pour les faire adhérer à la nation française et sa culture – surtout les enfants des groupes minoritaires. Notamment, parce que nous sommes des parents normaux et nos enfants sont éduqués et bien élevés – ils étaient excellents écoliers et ils avaient une conduite exemplaire – c’était beaucoup plus facile qu’ils s’emparent d’eux pour remplir leur compte et gagner ainsi leurs salaires sans avoir à courir après les banlieusards. C’est parce que nos enfants étaient bien élevés et éduqués et que nous sommes des étrangers – c’est pour toutes ces raisons, nous étions une cible facile " !

Dès les premières audiences la juge française enlève Théodora, Miroslav, Ileyne et Yveline de leurs parents. Ils sont installés dans différentes familles d’accueil en dehors de Strasbourg. La fille aînée est d’ailleurs placée chez nulle autre que la professeure de français qui a signalé la famille Tanusheff.

Daniela et Boris n’ont la possibilité de voir leurs enfants que deux fois par mois pendant une heure trente. Daniela peut les entendre au téléphone mais seulement si elle s’exprime en français. Tous les appels et les rencontres sont soigneusement écoutés et surveillés.

Quand j’ai parlé à Boris, il y a deux ans, il a déclaré : " Ils ne nous oublient pas, ils n’ont pas changé leur attitude envers nous, ils nous aiment et ils sont gentils et bons avec nous, comme ils ont toujours été, ils ne se souviennent pas beaucoup de notre langue mais ce n’est pas là le problème … 

Aujourd’hui, la voix de Boris ne sonne plus comme ça. À plusieurs reprises, la Cour d’appel française prend la même décision sur le sort de ses enfants – à savoir, de prolonger leur placement chez les familles d’accueils pour une autre année et encore pour une autre et encore une autre. Ainsi, au début de l’automne s’achève la quatrième année, depuis que la famille Tanusheff n’en est plus une.

Boris vit seul à Strasbourg, à cause des procès et du temps qu’il leur consacre il perd son emploi et il est au chômage depuis. Après une longue période de dépression et dans l’impossibilité d’assumer la vie conjugale, Daniela rentre à la maison parentale en Bulgarie. Quant à Miroslav, Ileyne et Yveline, ils ne se souviennent plus de leur langue maternelle et ne la parlent donc pas, même avec leur père. Et s’il y a deux ans ils pleuraient lors des réunions avec leur père et suppliaient les travailleurs sociaux qu’ils les laissent vivre avec lui, aujourd’hui ils ont déjà un autre environnement social et de nouveaux amis desquels ils ne veulent pas se séparer. Ils s’imaginent que papa et maman peuvent vivre quelque part près d’eux et que de cette manière tout le monde va gagner.

Mais le système répond : "Non" !

Apparemment l’État-providence français a bien réussi la conversion de petits immigrants blonds on les plaçant dans des familles d’accueils pour en faire de meilleurs français. Boris a poliment averti avec une certaine ironie que ce qui se passe est une sorte de " transformation en janissaires tranquille, moderne, sans effusion de sang … Dans ce beau pays qu’est la France, il n’y a pas d’orphelinats car il n’y a pas d’orphelins. Ici on trouve des centaines de milliers de "bonnes" gens prêts à prendre vos enfants bulgares et les placer dans des familles d’accueils françaises afin de les "sécuriser" " .

Néanmoins, la lutte se poursuit. Boris ne pense pas à abandonner, même s’il est conscient que cette séparation qui dure depuis quatre ans risque d’être fatale à sa famille.

En attendant, la prochaine audience a été reportée en septembre 2012, une année de plus s’écoulera sans que la famille ne se réunisse.

Il y a deux ans, Boris croyait que la justice allait l’emporter. Il croyait que la loi qui lui a enlevé ses enfants pouvait ouvrir ses yeux et les lui rendre. Dès le début l’ambassade de Bulgarie en France, le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Justice, l’Agence pour la protection de l’enfance ont été au courant de cette affaire. Leur intervention n’a jamais été très active et encore moins efficace, car " avec des dizaines de conventions démocratiques et humanitaires adoptées par l’UE, le droit communautaire est un atout pour les grandes puissances qui l’éditent. Et elles n’ont jamais été Bulgares ".

Aujourd’hui, le gouvernement est différent de ce qu’il était il y a quatre ans et Boris envoie de nouveau des lettres à nos fonctionnaires. Il se souvient quand, lors de son arrivée au pouvoir, le Premier ministre Boïko Borissov a déclaré qu’il n’abandonnera jamais un Bulgare en détresse à l’étranger. Il essaie en vain de lui raconter l’histoire de 6 personnes qui sont en grande difficulté. Toujours pas de réponse. Boris va maintenant essayer de démarrer sa propre entreprise en France. Pour qu’il puisse vivre, pour qu’il puisse voir ses enfants tous les mois et pour qu’il puisse se permettre d’avoir un bon avocat, Boris a besoin d’argent. Ceci est sa dernière raison de nous contacter. Il le fait sans grand espoir, sachant que les gens ont leurs propres problèmes importants. Il veut plus que tout qu’on ne l’oublie pas. Qu’on puisse périodiquement se rappeler de lui dans l’espoir que quelqu’un vienne à son secours et l’aide à retrouver ce qu’il a de plus cher. Et que personne n’oublie nos gentils enfants bulgares, dont la France voudrait faire des français.

Enfin, voici le compte bancaire de Boris, pour ceux qui veulent donner une fin heureuse à cette tragédie familiale :

First Investment Bank – ville de Sofia

Boris Tanusheff

IBAN : BG44FINV91501015075816

BIC : FINVBGSF

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Nadia Teodossieva (l'article est publié en bulgare sur le site de "Darts News" - une agence d'information crée par la rédaction de la radio "Darik", la plus écoutée radio FM en Bulgarie : http://dartsnews.bg/News/8352)

Janissaires : Pendant des siècles de domination ottomane – jusqu’à la fin de 19ème siècle, les Bulgares privés de leur souveraineté trouvaient refuge exclusivement dans la foi orthodoxe et dans la famille. Ils étaient soudés et solidaires au sein de la famille d’autant plus que son existence a été menacée par une espèce d’impôt dit « de sang », exigé à partir de 17ème siècle, quand la région chrétienne de Bulgarie a été choisi par les dirigeants turcs pour servir comme exemple de la conversion à l’islam. Cet impôt obligeait chaque famille à donner aux autorités au moins l’un de ses fils dès l’âge de 10/12 ans. Ces garçons ont été ensuite convertis à l’islam et instruits de devenir soldats. De cette façon la population chrétienne des Balkans fournissait à l’empire ottoman, par la conscription forcée, son principal corps militaire, celui des janissaires (littéralement "nouvelle milice") – l’élite de l’infanterie utilisée régulièrement pour noyer dans le sang les insurrections des Chrétiens, les propres pères et frères de ces soldats.

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