mercredi 16 mars 2011

La Robe de juge

  "L'âne portant des reliques"


Un baudet chargé de Reliques,
S'imagina qu'on l'adorait.
Dans ce penser il se carrait,
Recevant comme siens l'Encens et les Cantiques.

Quelqu'un vit l'erreur, et lui dit :
Maitre Baudet, ôtez-vous de l'esprit
Une vanité si folle.
Ce n'est pas vous, c'est l'Idole
A qui cet honneur se rend,
Et que la gloire est due.
D'un magistrat ignorant
C'est la Robe qu'on salue.
Jean de la Fontaine

"L'âne portant des reliques"
A l’heure de la manif "titanesque" des courtisans du palais de la sœur et l’épouse incestueuse de Japet, il n’est pas inutile de leur rappeler qu’ils existent des points de vue autres que les leurs sur la "malaise" pécuniaire dont ils se plaignent. A la manière de Molière, on peut confirmer que oui, la maladie est bien là, mais le malade n’est pas celui qu’on nous souffle et son pronostic et plutôt d’ordre sociétal. De nombreux titres sur Iustitiae en ce début du XXI° siècle ont déjà pointé de doigt l’écart croissant entre son fondement dans les principes philosophiques, moraux et juridiques et sa pratique touchée par le messianisme autodidacte des magistrats :

"La cour des Miracles", Yves Bonnet / éd. Flammarion
" Une cour des Miracles, c'est un espace clos, cohérent et solidaire, régi par des règles et, en même temps, soumis à l'arbitraire, celui des juges. A la Cour des Miracles du bon Totor, ce sont Clopin Trouillefou et ses compères qui condamnent et qui gracient. A la Cour des Miracles de la République, ce sont de graves messieurs et de sévères dames qui officient. La Cour des Miracles, au fond, ce sont des règles auxquels nul ne comprend rien et des juges que l'on ne comprend pas bien. "

"La justice en folie", André Branne / éd. Officine " La justice en folie, ce n'est pas la folie des juges, mais bien celle des hommes. C'est folie de croire que le droit est juste, que la bonne foi suffit, que la loi équitable, que les citoyens naissent libres et égaux, que tout accuse est présumé innocent. "

"Affaires de juges", Violaine Roussel / éd. Découverte 
" Les rapports actuels entre magistrature et politique témoignent de mutations importantes qui se sont déroulées durant la dernière décennie du XX° siècle. Dans ces transformations, on peut y déceler une véritable "judiciarisation" du politique. Le champ d'action des magistrats s'est étendu à la poursuite de comportements politiques qui en étaient préalablement exclus. Les protestations publiques de juges instructeurs de "scandales politiques", tels Éva Joly ou Éric Halphen, tant qu'à leur faibles moyens ou leur manque d'indépendance, manifestent l'autonomie déjà acquise par les juges. Comment les choses ont-elles pu se renverser ? Comment expliquer cette transformation des rapports de forces entre monde politique et justice ? A-t-on à faire à des juges frustrés portés par une volonté d'ascension sociale ou de revanche vis à vis des politiques ? "

"Où vont les juges ?", Laurent Greilsamer et Daniel Schneiderman / éd. Fayard
" Les juges forment aujourd'hui un pouvoir à part entière, qui fait pour le moins jeu égal avec les pouvoirs exécutif et médiatique. Les juges d'instruction convoquent, mettent en examen, poussent à la démission, incarcèrent ministres. Ils prennent l'opinion à témoin dès lors qu'ils rencontrent une résistance. Plus rien ne semble en mesure de les arrêter. " ....................................................................

Parmi tous ces ouvrages on peut distinguer celui du journaliste Jean-François Lacan, "Ces magistrats qui tuent la justice", publié chez Albin Michel en 2003. Pour lui, le corporatisme et l’impunité des magistrats qui échappent à toute surveillance démocratique, sont à la base de leurs erreurs et dérives. A l’occasion de la sortie de son livre, l’auteur a été interviewé par le mensuel lyonnais Lyon Mag.
L’article est apparu dans son numéro de janvier 2004 (en 2009 le magazine est mis en liquidation mais réapparaît trois mois plus tard). L’extrait qui suit est de cette publication. (Boris Tanusheff)

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Lyon Mag : Pourquoi vous avez ciblé la justice ?

J-F. L. : Car la fracture est de plus en plus grande entre les magistrats et la majorité des justiciables. Quand les gens ont à faire à la justice, ils sont surpris de constater que les magistrats utilisent un jargon incompréhensible, qu'ils ne les écoutent pas, ne les regardent pas... Bref, les justiciables ont l'impression d'être méprisés. C'est pourquoi les Français ont de moins en moins confiance en la justice qui leur donne l'impression d'être une immense loterie.

Lyon Mag : Comment vous expliquez ce mépris ?

J-F. L. : En fait, la magistrature est un petit monde clos qui vit replié sur lui-même. Exemple, à Lyon, ils sont à peine 170 à décider du sort de milliers de gens chaque année, sans jamais avoir à rendre des comptes. Sauf à d'autres magistrats ! Ils se forment entre eux, se notent entre eux... Du coup, c'est devenu une secte un peu effrayante, à l'intérieur de laquelle prolifèrent des corrompus, des malades, des alcooliques... C'est pourquoi la justice en France est aussi lente et contestée.

Lyon Mag : Le problème numéro 1 de la justice aujourd'hui ?

J-F. L. : La forte culture de la soumission, qui est un héritage du passé, car depuis des siècles, les magistrats sont soumis au pouvoir politique. D'ailleurs, la très grande majorité des juges n'ont qu'un seul objectif : mener une petite carrière tranquille. Et pour ça, ils savent qu'ils ne doivent pas faire de vagues. Du coup, ils plient devant les puissants. Les interventions sur les magistrats sont nombreuses et pas simplement sur des affaires politiques. Mais rares sont les magistrats qui s'insurgent.

Lyon Mag : Pourquoi ils acceptent les pressions ?

J-F. L. : Au fond, c'est le système d'évaluation qui est la clef de cette soumission. Car tous les magistrats sont notés chaque année par leur supérieur hiérarchique. Ce qui décide de leur future promotion. Du coup, s'ils veulent avoir une bonne note pour faire carrière, ils ont intérêt à obéir aux suggestions de leur hiérarchie. Sans parler des réseaux d'influence bien implantés dans la justice.

Lyon Mag : Un exemple de pressions à Lyon ?

J-F. L. : Le procès des comptes suisses de Pierre Botton, où la justice a refusé d'enquêter pour savoir si des grands groupes de BTP comme Bouygues ou Dumez avaient versé des commissions à Michel Noir afin de décrocher le marché du Périphérique nord. Il n'y a pas eu de consignes écrites. Mais le système de pressions discrètes a bien fonctionné. Comme c'est souvent le cas dans ce genre d'affaires. Résultat, ce procès Noir-Botton a tourné à la farce avec un réquisitoire assez indulgent.

Lyon Mag : D'autres problèmes ?

J-F. L. : Oui, le temps de travail. Il y a des tribunaux en France qui sont de vraies planques, avec peu d'affaires à traiter. Ce sont des postes recherchés par ceux qui veulent mener une carrière tranquille, qui leur laisse du temps pour se consacrer à la peinture, au bricolage... Exemple : la cour d'appel de Lyon est loin d'être surchargée... Avec 4 à 5 fois moins d'affaires à traiter que la cour d'appel d'Aix-en-Provence, pour pratiquement le même nombre de magistrats !

Lyon Mag : Les magistrats qui ne font pas leur boulot ne sont jamais sanctionnés ?

J-F. L. : C'est rare. Même chose pour l'incompétence ou les dérives des magistrats. Regardez ce juge qui prenait des photos de jeunes filles déshabillées au tribunal de Grenoble. Sa seule sanction, ça a été d'être muté à Sarreguemines !

Lyon Mag : Pourquoi cette impunité ?

J-F. L. : Parce que cette institution s'autocontrôle sans que jamais il n'y ait un contrôle extérieur. Au fond, un magistrat estime qu'il n'a de comptes à rendre à personne. Et si vous osez critiquer une décision de justice, on vous accusera de menacer la démocratie. Alors qu'au contraire, il faudrait plus contrôler la justice, comme n'importe quelle autre administration. D'autant plus qu'aujourd'hui, la magistrature est touchée par deux grands fléaux : la dépression et l'alcoolisme qui vont souvent de pair.

Lyon Mag : Pourquoi ces dérives ?

J-F. L. : D'abord parce que la sélection à l'entrée de l'École nationale de la magistrature à Bordeaux se fait uniquement sur concours, sans aucun examen psychologique. De plus, après seulement deux ans de formation, le jeune diplômé se retrouve généralement parachuté au poste sensible de juge d'instruction ou de substitut du procureur, où il est confronté directement à la misère humaine : violence, alcoolisme, drogue, viol... Et il se retrouve tout seul à prendre la décision. Du coup, il ne faut pas s'étonner que ces jeunes craquent.

Lyon Mag : Vous n'exagérez pas un peu ?

J-F. L. : Non, c'est malheureusement la vie quotidienne de la justice. Même si quelques juges médiatiques qui sont bosseurs, compétents et courageux, cachent la réalité judiciaire. Je vous ferai remarquer que ces fameux juges sont tous en train de quitter la magistrature, complètement écœurés : Éva Joly, Éric Halphen...

Lyon Mag : Reconnaissez quand même que la justice manque de moyens !

J-F. L. : C'est vrai que certaines juridictions sont débordées. Et que leurs conditions de travail sont indignes : manque de secrétaires, de greffiers, de bureaux... Mais ce n'est pas à coups de milliards supplémentaires qu'on résoudra le problème. Car aujourd'hui, la crise est beaucoup plus profonde : c'est la légitimité des magistrats qui est en cause.

Lyon Mag : Vos solutions ?

J-F. L. : Aujourd'hui, les magistrats doivent faire une véritable révolution culturelle, en acceptant la transparence, la critique, les contrôles... Il faut leur apprendre que la justice ne leur appartient pas, qu'ils ne sont pas infaillibles... Bref, il faut d'abord changer les mentalités des magistrats. Et puis il faut faire évoluer le statut des magistrats qui ne doivent plus vivre en circuit fermé. La justice doit aujourd'hui s'ouvrir et se moderniser, en parlant le langage de tout le monde.

Lyon Mag : Vous êtes optimiste ?

J-F. L. : Franchement non, car la justice qui passe son temps à juger et condamner, en commettant beaucoup d'erreurs, ne supporte pas la critique. Du coup, elle ne peut que très difficilement se remettre en cause. Même si j'ai l'impression que les plus jeunes magistrats sont moins psychorigides que leurs aînés.

Extrait de "Lyon Mag", janvier 2004

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