samedi 26 mars 2011

Sous l'arche de Zoé

Réflexion sur l'association ''L'Arche de Zoé'' 

(mais pas seulement)


En octobre 2007, une association humanitaire fait la une de l'actualité et devient malgré elle la vedette des médias – l’Arche de Zoé. Immédiatement elle a divisé l’opinion publique entre ceux qui approuvaient son action (en faveur de l’adoption des enfants africains non orphelins) et ceux qui réfléchissaient sur le message véhiculait par cet acte.

"L'Arche de Zoé" d'après Le Hic
Ceux qui plaidaient en sa faveur percevaient sa mission comme une cause suffisante en soi. Les autres, voyait  plutôt la peine infligée aux  enfants séparés de leurs parents dont l’ampleur de la souffrance était plus grande que celle de la famine ; voyait les valeurs de la France mises en cause ; voyait la foi dans  les missions des ONG et dans l’altruisme d’autrui dégradée.

Présentés comme objet de sauvetage, les enfants en question n’ont même pas eu occasion de s’apercevoir qu’ils en devenaient un car, pour les soumettre à son choix selon des critères qui n’étaient pas des leurs, l’Arche de Zoé abusait de leur confiance.

Confrontée au désastre de son action humanitaire l’association tentait à convaincre en sa bonne foi l’opinion dominante en maquillant, au sens propre et figuré, la vérité. …

C’est un phénomène  propre à  l’humain de présenter sa conscience comme une valeur en soi. Ceci est vrai si le sujet se reflète en tant qu’héritage de l’humanité, c’est beaucoup moins certain s’il s’identifie  à une culture donnée du type national ou confessionnel.

Par définition la culture est antérieure au sujet et pour qu’elle soit intériorisée elle exige de lui un travail de rétrospection qui est efficace uniquement s’il possède déjà la clé appropriée pour décoder ses messages.

Mais cette clé, n’ouvre-t-elle pas au même temps la porte donnant sur l’emprise de ce qui va de soi ? - potestas clavium profano - les prémisses de l’évidence procurant le pouvoir séculier de la conviction, le pouvoir d’arbitrer le quiproquo, le pouvoir de ne pas justifier ses décisions.

Or, le parcours initiatique du sujet est souvent entravé par la redondance et les préjuges du quotidien car même s’il communique beaucoup plus qu’auparavant, ou bien, justement pour cette raison là, la méfiance, transformée en opinion, demeure comme ultime recours face à la découverte d’un monde dont l’immense diversification incommode ses certitudes.

A l’aune d’une conscience autre que la sienne, un représentant de la France peut toujours, en vue d’approuver ses intentions, recourir à son statut ou/et à son origine. Mais sans dépasser les idées arrêtées, sans se convertir au non-moi de son identité statutaire et originaire pour ne garder que ce qui est en commun, il n’arrivera jamais à se faire admettre par quiconque d’extérieure.

Car le progrès technique à rendu les frontières des pays virtuelles et la France d’aujourd’hui c'est aussi l'idée que les autres se font d’elle. Et si elle rayonne au-delà de son territoire c’est grâce à son discours sur les droits de l’homme, enraciné dans son passé "Lumière". Mais pour que sa plaidoirie n’apparaisse pas comme une simple prétention il faut encore parler juste.

Le fait d’avoir l’habilité d’agir en tant que représentant ou fonctionnaire d’un pays, reconnu comme berceau des droits de l’homme, ne signifie pas forcement la capacité d’intérioriser l’universalisme, au sens large du terme, de son patrimoine spirituel - le seul qui porte véritablement au-delà des frontières individuelles et étatique.

L’aptitude de dépasser son identité pour rendre sa différence accidentelle et ne voir en l’autre qu’autre que soi, ne voir en lui que le semblable avec lequel  on communique, c’est le sine qua non du travail humanitaire mais aussi l’a priori de tous les domaines où les valeurs sont symbolisées y compris ceux des institutions officielle comme celle de la justice.

Paradoxalement, ce n’est qu’à partir de ce moment qu’on se doit descendre dans le réel - juger in concreto sur la base des valeurs communes. Faute de quoi on risque de prendre, par exemple, dans le cas des familles nombreuses,  un mode de vie ancestral ou une vie dédier aux enfants pour des irresponsabilités.

Cependant, les principes universalistes (ceux qui gèrent les droits de l’homme, la démocratie) ne sont pas des ascendants du langage de la realpolitik qui ne serve qu’à justifier les interventions de toutes sortes. Le risque d’une pareille confusion est de voir des idées, à l’origine pour préserver des catastrophes humanitaires, telle le droit d’ingérence, anéanties par des actions-spectacle (ayant pour objectif d’attirer l’approbation de l’opinion publique) comme celle des américaines en Irak qui imposaient à une culture différente LEUR vision des valeurs démocratiques, même au prix des mensonges avérés,  car leur finalité correspondait à leurs intérêts.

De ce pont de vue, les responsables de l’Arche de Zoé, ne sont que des adeptes zélés de cette politique de l’«humanitaire-spectacle». Ils entretiennent volontairement la confusion entre droit et devoir d’intervention et logiquement peinent à démêler les mobiles humanitaires des mobiles politiques et des intéressements personnels.

Pendant leur mission africaine ils ont agi comme des fonctionnaires investis de plein pouvoir d’imposer ses réflexions préétablies. Pour des raisons historiques, là d’où ils viennent, le fonctionnaire est omnipotent et son infaillibilité présupposée (son droit inaliénable au poste) ne pas de nature à l’inciter à  remettre en question ses décisions. - entre parenthèses - On ne peut que se féliciter du dénuement heureux de l’affaire des infirmières bulgares mais leur libération est l’exemple typique de ce pouvoir, presque divin, de la fonction  qui ne fait que court-circuiter le travail de longue haleine de l’instauration d’une justice indépendante de la volonté providentielle du pouvoir personnalisé des institutions.

Aller à la rencontre d’autrui, si c’est prioritairement dans le cadre d’un statut, devient alors un exercice idéologique en concordance uniquement avec la vision personnelle, au mieux politiquement correcte au pire arbitraire, du décideur et non pas un cas de conscience. Ainsi le conflit entre l’humanitaire conceptuel (idéologique) et l’humanitaire tout court est inévitable voir intrinsèque pour toutes les organisations qui travaillent avec des étrangers ou à l’internationale mais restent confinées dans ses perceptions statutaires nationales ; qui ne sont que des fonctionnaires humanitaires à compte associatif (bien subventionné ou rémunérés de préférence).

Même quand il ne s’agit pas de tirer des profits personnels ou de faire du spectacle, le fait d’agir selon ses prérogatives et non pas sur la base de libres échanges des opinions ne mène qu’à l’assistanat. Or, qu’il soit à l’étranger ou en France ce n’est pas une solution pour l’individu, en dehors des régimes totalitaires, d’être assujetti à une action qui ne fait qu’à accroitre sa dépendance.

Dans ce domaine la France pourtant n’envoi pas un signal sans ambiguïté. Dans le cadre, par exemple, de son "Assistance éducative" les services concernés sont rémunérés, et par conséquent motivés, sur le nombre des enfants assujettis à la mesure et non pas sur le nombre des enfants sortis de ce type  d’assistanat. 

Pour s’écarter de tout permissif statutaire, qui induit si souvent en erreur tant au niveau du bien-fondé des mesures imposées qu’au celui de la négligence de la contestation qui s’en suit, il faut  s’affranchir de la signification de la fonction et le raisonnement qui y est lié et engager le dialogue avec autrui à son hauteur sans ériger en dogmes des principes qui ne sont pas inhérents à sa culture ; il faut le tolérer pour être tolérer et subjuguer ainsi  la différence ; il faut surtout voir en lui, selon l’expression de Levinas,  une source d’"exigence morale".

Boris Tanusheff
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G. B. Pergolesi - "Stabat Mater dolorosa", Lesley Garrett, London Session Orchestra

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